Séminaire sur l’OTAN et Afrique
organisé par le Réseau international Non à l’OTAN-Non à la guerre, INES et le Mouvement de la Paix. FSM Tunis – 28 mars 2013
Intervention de Claire Chastain
L’OTAN est en Afrique, continent totalement extérieur à sa zone d’intervention, et sur lequel elle n’a aucune opération en cours.
L’OTAN est en Afrique depuis les années 1990, soit après la chute du bloc de l’est. C’est donc une OTAN en mutation qui s’y installe, avec le besoin ici comme partout ailleurs de légitimer son existence post-guerre froide. Aujourd’hui, elle y déploie toutes ses caractéristiques d’OTAN «globale ».
Elle a un agenda officiel sur le continent (que l’on trouve aisément sur son site internet).
Je mets à part l’intervention en Libye – la première intervention officielle de l’OTAN dans un conflit en Afrique.
Les activités de l’OTAN en Afrique se développent en partenariats ad hoc avec l’Union africaine. Selon ses dires, l’OTAN intervient toujours « à la demande de l’UA » (demandes de nature uniquement financière ou plus globales). Ainsi, l’OTAN a participé à la mission de l’UA au Soudan/Darfour entre 2005 et 2007. Après le tranfert du mandat à l’ONU, l’OTAN s’est retirée, sans omettre de renouveler sa disponibilité pour considérer tout type de demande qui émanerait de la nouvelle force hybride UA-ONU de maintien de la paix au Darfour… L’OTAN est en Somalie, en appui à l’AMISOM depuis 2007. Elle est également présente dans le Golf d’Aden, participant aux opérations de lutte contre la piraterie. Dans toutes ses missions, le travail de l’OTAN est bien spécifique. Il se décline en deux axes : soutien logistique (transports par air ou par mer, selon les cas, des personnels civils ou militaires de l’UA) et formation des cadres. Les trois « centres d’excellence » de formation de l’OTAN en Afrique méritent d’être mentionnés : le National Defense College au Nigeria (pour la plannification stratégique), le Kofi Annan International Peacekeeping Training Center au Ghana (pour le niveau opérationnel) et, cela vaut son pesant d’or en ce moment, l’Ecole du maintien de la Paix au Mali (pour la plannification tactique) ! On note, au passage, l’utilisation permanente d’une rhétorique de la paix par l’OTAN.
L’OTAN est également très impliquée dans la création et l’élaboration de l’ASF (African Standby Force). Cette force d’intervention continentale dans le cadre de l’UA, prévue pour être déployée en cas de crise en Afrique, devrait être pleinement opérationnelle en 2015. Au-delà de sa mission continentale, elle est considérée comme un apport de l’Afrique aux efforts de maintien de la paix et de la sécurité au niveau international. L’OTAN participe là encore en fournissant des experts, des formateurs. Elle contribue même à la structuration opérationnelle de la future ASF. Que fait l’OTAN, si ce n’est s’installer durablement en Afrique, sur la base de ses propres critères ? En outre, l’ASF est basée à Addis Abeba, la Norvège fournissant aimablement les locaux de son ambassade pour accueillir les permanents de l’OTAN. A défaut d’un QG officiel…
L’OTAN mène un travail de longue haleine, elle investit (et s’investit) sur le long terme. Elle parle de son action en Afrique comme s’inscrivant dans une complémentarité avec d’autres organisations internationales ou régionales. Outre le fait qu’elle fait souvent plutôt doublon avec l’UE, sur quelle base cette alliance militaire travaille-t-elle au « maintien de la paix » ? De quelle complémentarité parle-t-elle donc ?! L’OTAN a par exemple aidé l’ONU à l’élaboration de la cartographie du Soudan/Darfour. Elle va même jusqu’à fournir des traducteurs à l’ASF ! Cela montre le degré d’inflitration et d’influence qu’elle peut avoir, jusque dans les formulations des textes fondateurs ou organisationnels.
L’OTAN en Afrique travaille donc non pas dans des théâtres de guerre, mais dans des cadres dits « de maintien » ou « consolidation de la paix » (Peace-keeping et Peace-building). Et ce qu’elle fait est éminement stratégique. C’est une pénétration minutieuse, quotidienne, aux effets très insidieux.
En effet, l’OTAN devient un recours naturel, logique, légitime pour l’Union africaine. Le 8 janvier 2013, le président de l’UA, Thomas Boni Yayi, a formulé une demande officielle à l’OTAN pour qu’elle intervienne au Mali avec la coalition internationale qui, selon la résolution de l’ONU, devait s’engager dans ce pays. « Si on fait la même lecture de cette résolution, en réalité, l’OTAN se joindra à nos forces africaines (…) La question malienne dépasse le cadre africain, car c’est une question de terrorisme et ça relève de la compétence de la communauté internationale »[1]. La France l’a bien (ou mal!) compris. L’OTAN n’est pas encore au Mali, mais un de ses principaux membres pour la zone africaine (avec ses effectifs et bases militaires), oui. Et l’OTAN pose ses jalons…
Naturellement, comme l’OTAN est devenu officiellement le bras armé de quelques puissances – particulièrement les Etats-Unis et, sur le terrain africain, la France – elle a aussi un agenda officieux, qu’elle ne cache même plus vraiment et que tout le monde le connait ! Protéger leurs intérêts économiques et commerciaux, l’accès aux ressources naturelles et la sécurisation des voies d’approvisionnement, parmi les grands intérêts généraux, partagés. Il y a ensuite à distinguer des agendas et des priorités en fonction des pays. Schématiquement, on peut parler des joutes géostratégiques par continent interposé entre les Etats-Unis et la Chine ; si on regarde la stratégie de la Maison blanche pour l’Afrique de juin 2012 ou les lignes directrices de l’AFRICOM, les superpositions avec les actions et stratégies de l’OTAN sont assez claires. On trouve aussi la « diplomatie d’influence » de la France dans ses ex-colonies qui s’exprime, outre par l’intervention armée comme en Côte d’Ivoire ou au Mali, par celle plus perverse mais tout aussi grossière, dans la vie électorale. Les régimes amis demeurant toujours fort utiles.
La présence de l’OTAN en Afrique est encore peu structurée, sans quartier général officiel. Mais l’OTAN est bien là, active. Elle occupe le terrain. Elle s’installe durablement. Il est donc nécessaire, indispensable même, de bien saisir son envergure d’ambition globale et les conséquences. C’est flagrant en Afrique, continent croisant toutes les dimensions, enchevêtrant toutes les problématiques. La légitimation de la présence et de l’action de l’OTAN en Afrique, c’est la lutte contre la menace transnationale du terrorisme. Là aussi, l’Afrique est un exemple flagrant (en particulier après la Libye et au Mali actuellement) : comment l’OTAN globale crée, propage et nourrit les menaces. Il faut une vigilance accrue de la part des mouvements et forces pour la paix. Et plus que jamais, construire un autre ordre international de paix, de justice, de démocratie et de solidarité, qui ne pourra faire l’économie de la dissolution de l’OTAN.
[1] Mali : l’Union africaine veut que l’OTAN déploie des troupes Le Monde.fr avec AFP, 08.01.13