Aspects féministes d’une stratégie de paix anti-OTAN
L’exposé de Christiane Reymann lors de l’événement public « Pour une justice, la paix et la solidarité de genre Non à la guerre – Non à l’OTAN, stop à la militarisation » lors de la rencontre annuelle du réseau international « Non à la guerre – Non à l’OTAN » à Gand, Belgique, le 8 mars, Journée internationale des femmes 2013.
Mouna Ghanem est une femme syrienne, elle vit à Damas, bien que la guerre civile crée un climat de violence même dans la vie quotidienne. Elle devient de plus en plus incertaine et brutale. Il y a deux mois, Mouna a pris l’initiative de rassembler des femmes pour un processus de construction de la paix. 44 femmes de Syrie se sont rencontrées en novembre 2012 au Caire pour voir si elles pouvaient coopérer et comment. Elles venaient de régions différentes de Syrie, d’organisations politiques et d’institutions différentes, elles étaient d’ethnicité et d’origine religieuse diverses.
En ce moment, malheureusement, pratiquement aucune force politique en Syrie ne suit les efforts diplomatiques de Lakhdar Brahimi pour résoudre le conflit par des moyens pacifiques plutôt que militaires. Des négociations pacifiques doivent incorporer toutes les forces impliquées dans le conflit, elles doivent démarrer sans préconditions. Elles doivent immédiatement commencer des négociations pour un cessez-le-feu. Cela – pour le moment – ne fonctionne pas parmi les parties du conflit en Syrie. Mais cela a fonctionné parmi les femmes syriennes qui ont créé un réseau appelé « Femmes pour la paix » – bien que leurs positions politiques se situent de l’opposition au soutien du régime d’Assad. Elles ont été capables de construire une confiance mutuelle par la création d’une culture de dialogue qui respecte toutes les opinions et respecte les différents points de vue, dirigée vers un seul objectif : la Paix !
Mona Ghanem m’a raconté que ces femmes syriennes sont encouragées par les expériences d’autres femmes dont les pays avaient souffert des conséquences difficiles de la guerre civile. Elles considéraient comme l’action de femmes la plus importante celle du Libéria. Elles sont aussi impressionnées par l’action des femmes irlandaises et en particulier de Monica McWilliams, qui a insisté sur le rôle des femmes comme facteur clé dans le règlement de la guerre civile en Irlande du Nord. Une catholique qui a cofondé le parti politique la Coalition des femmes d’Irlande du Nord avec la Protestante Pearl Sager, McWilliams a été élue à un siège aux Négociations de paix multipartites qui ont mené à l’Accord de paix de Belfast (Vendredi saint) en 1998. Aujourd’hui, elle est professeure d’Etudes de femmes à l’Université d’Ulster.
N’est-ce pas extraordinaire que des femmes d’un pays en crise profonde et affecté par une guerre comme la Syrie soient capables d’établir des ponts de compréhension et de dépasser les différences culturelles, religieuses et aussi profondément politiques dans le but, et le seul, de construire la paix ? Et n’est-ce pas remarquable que ces femmes ordinaires étudient les expériences de femmes d’autres pays – bien que les conditions de luttes politiques en Syrie soient si différentes des leurs – par exemple – au Libéria ou en Irlande du Nord et cela bien que leurs conditions de vie soient devenues brutales et extrêmement compliquées ? L’aspiration à la paix apparaît être une force puissante et géniale.
Dans des conflits, les femmes sont très souvent les premières à développer une approche commune. Non pas parce qu’elles sont par nature plus pacifiques que les hommes. Non, les femmes ne sont simplement pas aussi fortement imprégnée que les hommes de la pensée patriarcale et ne sont pas de manière aussi permanente totalement enfoncées dans des structures patriarcales. Les structures patriarcales sont des structures de pouvoir ; et les femmes ont été exclues du pouvoir durant des siècles.
Dans les guerres du 20e siècle jusqu’à maintenant, les femmes n’ont pas seulement été des victimes, elles ont aussi pris part à l’effort de guerre. Elles ont pris des positions dans le domaine médical, ou elles ont servi sur le « Front de l’intérieur », travaillant pour l’industrie militaire ou prenant des responsabilités dans des matières économiques ou agricoles. Leurs époux, leurs fils et toutes les troupes combattantes leur ont offert un « Front de l’intérieur », pleinement soutenu. Les femmes ont travaillé et contribué à la propagande de guerre.
Vous vous souvenez peut-être de Lynndie England, que le journal de boulevard allemand BILD avait qualifiée de « Sorcière de la torture à Abu Ghraib”. Les méthodes de torture de « déprivation sensorielle » ont été officiellement appliquées dans la base US de Bagram à Kaboul et à la Baie de Guantanamo, mais elles ont été ancrées dans la mémoire collective par les actes violents d’une seule femme – parce que, de mon point de vue, cela ranime l’image profondément enracinée des sorcières qui incarnent la supériorité sexuelle et le mal.
Mais la guerre est encore considérée comme une affaire d’hommes – il est prétendument une créature plutôt violente, programmé génétiquement pour la chasse, résistant et fort physiquement – et la paix est vue comme une caractéristique des femmes – comme préservatrices et gardiennes de la vie, et pour cette raison plus prêtes et capables de travailler en faveur de la paix. Ainsi est construite une hiérarchie de genre de séparation et d’exclusion. La séparation et l’exclusion dépeignent l’archétype classique de la conception d’un ennemi. La division entre « eux » et « nous » crée les préconditions de formation de conflits et de guerres.
Idéologiquement, le patriarcat est basé sur la dualité créé entre hommes et femmes. Dans les dispositions modelées par les hommes, les femmes sont considérées comme « l’autre ». En temps de guerre et pendant sa préparation, les contradictions de genre ne disparaissent pas, mais sont au contraire superposées par une certaine forme d’identité nationale ou ethnique, qui sépare clairement les « nous » d’« eux » et les « eux » deviennent les « autres ». Renforcés par des mensonges et par la propagande, finalement « les autres » sont déshumanisés, ils perdent l’attribut d’exister en tant qu’être humain. En quelque sorte, cette perception conduit à la légitimation de tuer, puisque si l’ennemi n’est pas perçu comme un être humain, dans ce cas, personne ne se sent coupable de le tuer.
La dualité des hommes et des femmes, qui a été créé par le patriarcat, entraînent d’autres divisions d’éléments comme : corps – âme, émotion – intellect, privé – politique, ami – ennemi, étranger-habitant, homme-nature. L’idéologie de la hiérarchie patriarcale opère sur un l’un ou l’autre – ou un système qui ne laisse pas la place à une troisième option.
Aujourd’hui, des femmes servent dans plusieurs armées dans le monde. Les USA ont ouvert leur armée aux femmes après le désastre du Vietnam, et l’Allemagne a fait de même après la soi-disant « intervention humanitaire » en Yougoslavie. L’une et l’autre armée n’avaient pas seulement besoin de plus de soldats ; ce qui était encore plus important était que le militarisme et la guerre dans les pays de l’OTAN couraient le danger de perdre l’acceptation de leur population. Et intégrer des femmes dans l’exercice de la guerre signifie de renforcer l’esprit du patriarcat et l’agression dans des sociétés.
Les guerres, les conflits et la violence sont patriarcales à son plus haut niveau. C’est pourquoi la guerre et la militarisation peuvent seulement être stoppés par des visions féministes, crées et soutenues au mieux par à la fois des hommes et des femmes.
Le point principal et universel du programme féministe a déjà été énoncé il y a plus de 100 ans par l’appel de Bertha von Suttner : « Déposez vos armes ». En réalité, cela comprend de mettre fin à toutes les interventions militaires, à commencer sérieusement le désarmement nucléaire, à la non-prolifération d’armes et de mettre fin à leur production, nous devons surmonter l’idéologie de la guerre comme un outil politique et obtenir la dissolution de l’OTAN et d’autres organisations militaires; nous nous battons pour le renforcement de « La loi du Juste » au lieu de la « Loi de la Jungle ». Dans cette question complexe, je voudrais simplement présenter quelques réflexions sur une critique féministe de l’OTAN et une voie correspondante vers la paix. Je voudrais souligner que non seulement des femmes mais aussi des hommes devraient assurer et effectuer les stratégies féministes.
1.
Un des mensonges de propagande dans les nouvelles guerres des US et de l’Europe, est qu’elles ont pour but de libérer les femmes, d’assurer aux femmes leurs droits. Mais dans aucun des pays infectés par la guerre, la situation des femmes s’est réellement améliorée, au contraire. En Irak et en Afghanistan, elle a fortement empirée. En Afghanistan, chaque 30 minutes une femme meurt dans sa grossesse ou quand elle donne naissance. L’Afghanistan appartient encore aux pays avec le taux le plus élevé de tuberculose. Chaque année, plus de 10.000 personnes meurent de tuberculose, et 66% d’entre elles sont des femmes. Le niveau de l’alphabétisation stagne.
En général, la majorité des victimes de guerre sont des civils, 85% appartiennent aux groupes les plus vulnérables d’enfants, de femmes et de vieillards. Leurs moyens d’existence économiques et écologiques sont détruits pour des décennies. Dans ces « nouvelles guerres » le droit international est rompu ; les droits humains sont violés dans une mesure incroyable. Des armes illégales et interdites comme l’uranium appauvri, les mines terrestres et les bombes à fragmentation sont largement utilisées – avec des conséquences incalculables pour les générations futures.
La justification de guerres pour les droits des femmes n’a pas le moindre fondement. Les apologistes de la guerre emploient abusivement les droits des femmes pour maintenir ou acquérir du pouvoir et la suprématie – à l’étranger et contre une opposition interne.
Je pense que nous devons même prendre plus conscience pour mener la lutte idéologique comme raisons de guerre, des abus contre les femmes et des droits humains, en général. Parce que dans la plupart de nos pays, c’est l’argument le plus important pour obtenir avec succès l’approbation de la population ou au moins leur tolérance à la violence et la guerre.
2.
Nous sommes toutes témoins du « Printemps arabe » plein d’espoirs. Certaines de leurs revendications et de leurs rêves d’alors peuvent s’être évanouis. Sous l’orientation-OTAN, le « Printemps arabe » révèle très notablement un changement de stratégie. En Irak et en Afghanistan, la coalition des ( pays) volontaires ou des troupes de l’OTAN sont intervenues elles-mêmes avec leurs propres troupes, armes, structure militaire, logistique. En comparaison, la Libye marque un tournant : Depuis lors, les US et l’OTAN ne veulent plus intervenir eux-mêmes mais ils laissent à d’autres le sale travail sanglant de la lutte militaire. C’est ce qui est en train de se passer réellement en Syrie et au Mali ne prouve pas le contraire ; parce qu’après l’intervention française au Mali, maintenant très rapidement des troupes indigènes sont entraînées par d’autres armées sous la responsabilité de l’UE. En Libye, d’abord les concurrences tribales existantes ont été approfondies de l’extérieur, et ensuite un appel pour une zone à ne pas survoler est venu de l’opposition libyenne. Les troupes des US et de l’OTAN ont bombardé dans l’intérêt de chefs de guerre et des gangs de maraudeurs qui d’abord ont assassiné de manière barbare Muammar al Khaddafi et sont maintenant en train de terroriser la population. Les 40 milliards de dollars de profit de l’exportation du pétrole sont perdus dans les coffrets privés anonymes.
La Libye est aussi devenue un tournant dans la coopération Est-Ouest au Conseil de sécurité de l’ONU. La Russie et la Chine ont saisi très clairement que la résolution 1973 de l’ONU, qui installait une zone de non-vol, était violée. Les 20.000 opérations aériennes contre la Libye semblent justifier les arguments de la Russie et de la Chine. Dans le cas de la Syrie, on critique la Russie et la Chine de bloquer le Conseil de sécurité. Mais ils s’accrochent simplement au Communiqué de Genève du 6 juin 2012 qui insiste sur une solution pacifique du conflit et sur le désarmement de toutes les parties impliquées. Alors que les US et les états de l’OTAN ne reconnaissent qu’une seule partie de l’opposition politique, la Coalition nationale des forces démocratiques et révolutionnaires qui coopère avec l’Armée syrienne libre et met l’accent sur une victoire militaire contre Bashar al-Assad. Maintenant, surtout, la Grande Bretagne , mais aussi les US, pensent avec vigueur à envoyer des armes offensives à l’Armée syrienne libre, tandis que l’OTAN a déjà envoyé des véhicules blindés et d’autres soi-disant « armes défensives ».
Cette « nouvelle stratégie de l’OTAN » de laisser faire à d’autres le travail sanglant de la guerre et de la guerre civile nécessite d’autres armes. Les drones conviennent à ce but et en même temps, les drones déshumanisent encore plus et délégalisent les conflits militaires.
Dernièrement, depuis la Yougoslavie, le mouvement de paix est confronté à des conflits armés dans lesquels aucune des parties impliquées n’est « le bon ». Nous devons trouver notre position autonome au-delà des parties du conflit – tandis que nos gouvernements et les médias traditionnels trahissent sans retenue les anciens amis et partenaires des états de l’OTAN et combattent soi-disant pour les « droits humains » la main dans la main avec de sombres régimes médiévaux comme l’Arabie saoudite ou le Qatar.
De mon point de vue, nous, comme mouvement de paix, nous nous trouvons encore dans le stade d’apprendre à prendre une position autonome au-delà des parties d’un conflit, qui soit strictement liée à la non-violence et au droit international. Peut-être que l’expérience féministe d’autonomie pourrait aider un peu ici.
3.
Nous avons déjà appris que la lutte pour la paix a de forts larges implications. Un exemple : Pour combattre le terrorisme, nous devons d’abord et avant tout combattre la faim et la pauvreté. Je pense que la stratégie de l’OTAN elle-même fournit certaines indications pour le contenu de cette lutte. Dans sa stratégie, l’OTAN signale certains « risques » contre lesquels il construit des glissières de sécurité ( ??? crush barriers) ou des missiles directs. Nous pouvons décoder les “risques” comme écrire sur le mur pour le changement et des alternatives.
L’OTAN voit le climat mondial et la diminution de la couche d’ozone comme un « risque ». Il voit le goulot d’étranglement de la fourniture internationale de nourriture comme un « risque », et la rareté de l’énergie et d’autres ressources. Ces dangers sont réels et ils entraîneront des guerres, si nous ne pouvons pas modifier notre mode de vie, de production et de distribution. Un exemple : Combien de blé et combien de maïs pénètrent dans nos réservoirs d’essence, uniquement parce que nous sommes intoxiqués par la folie du transport individuel. Et combien de blé, de maïs, de riz manquent dans la fourniture alimentaire du sud global parce que c’est devenu une source de spéculation mondiale. Les féministes sont protagonistes de biens significatifs et nécessaires qui apportent une bonne vie à chacun.
L’OTAN voit la pauvreté, l’appauvrissement et les ruées de migration du sud comme un « risque ». Juste maintenant, l’UE rejette la Bulgarie et la Roumanie comme participants de Schengen à cause de la peur de la migration de la pauvreté. Si nous ne voulons pas construire un mur autour de l’Europe ou barricader nos cités, nous devrions interroger notre mode de vie, et voir comment cela pourrait nous rapprocher d’un partage avec chacun : partager les ressources, l’énergie, les fournitures alimentaires, la connaissance, l’éducation, pour qu’on puisse vivre librement et pacifiquement.
L’OTAN voit de nouveaux « risques » surgir de difficultés sérieuses économiques, sociales et politiques. (Washington Figure 10). Toutes ces « difficultés » touchent les pauvres et l’OTAN y répond avec son arrogance de pouvoir et ses guerres. Peut-être que nous, faiseurs de paix, devrions penser à changer la sphère économique, sociale et politique de sorte que l’autodétermination et l’égalité soient offerts aux pauvres.
Toutes ces réflexions ne sont pas des illusions mais sont des alternatives réalistes à l’OTAN. On ne peut pas avoir la paix pour moins. C’est Berta von Suttner qui a écrit: “Ce que veut le mouvement de paix n’est pas un rêve de gens retirés des préoccupations terrestres, mais l’instinct d’auto-préservation de notre civilisation. « Les féministes luttent pour pas plus et pas moins.
Christiane Reymann
El-fem, DIE LINKE
Traduction de l’anglais par Edith Rubinstein